Thibaut Julian 原稿+译稿

发布者:郭一帆发布时间:2023-04-05浏览次数:49

Jean-Jacques Rousseau : le legs collectif d’un rêveur solitaire

 

 

Rousseau est un nom qui illustre et éclipse à la fois le siècle des Lumières. Auteur de la singularité et de la marginalité, il est un esprit emblématique de son temps mais en décalage, voire en avance : c’est avec lui que l’histoire littéraire, avide de classifications, a coutume de faire naître en France le romantisme.

La vie de Rousseau est d’autant mieux connue qu’il en a fait la matière même de ses Confessions, écrites entre 1765 et 1770 comme un plaidoyer pour laver son honneur des accusations portées à son encontre, et publiées après sa mort entre 1782 et 1789. Né en 1718 à Genève dans un milieu modeste d’artisans protestants, orphelin de mère quelques jours après sa naissance, Jean-Jacques prend goût à la lecture des romans et des Vies parallèles de Plutarque. Après des années malheureuses d’apprentissage comme greffier et graveur, il s’enfuit en 1728 de Genève, commence une vie d’errance et rencontre en Savoie Madame de Warens qui deviendra sa protectrice et sa maîtresse jusqu’en 1742. Durant « les plus belles années de sa vie », il s’initie à l’amour et à la culture en autodidacte. En 1742, il part tenter sa chance à Paris en présentant un système d’annotation musicale qui ne sera pas approuvé, se lie d’amitié avec Diderot et Condillac, puis s’y installe après son retour de Venise avec une modeste lingère, Thérèse Levasseur ; il participera à l’Encyclopédie pour la rédaction des articles sur la musique. La célébrité lui vient en 1750 avec la thèse paradoxale du Discours sur les sciences et les arts primé par l’Académie de Dijon, dans lequel les fondements de son système philosophique sont posés. Par la suite, la vie et l’œuvre de Rousseau se définissent par trois ruptures successives :

1) 1750-1762 : Malgré le succès de son opéra Le Devin du village présenté à la Cour et la rédaction d’une pièce Narcisse en 1752, Rousseau aspire à la retraite et entreprend ce qu’il appelle sa « réforme » personnelle. Non-conformiste, ayant refusé une audience auprès du roi, il se retire du monde et préfère un modeste revenu comme copiste de musique. Il accumule les polémiques contre la musique française, contre le théâtre dénoncé pour ses vices sociaux et moraux (Lettre à d’Alembert sur les spectacles, 1758), et se brouille peu à peu avec ses amis philosophes, dont Diderot, Grimm et d’Holbach. Le roman épistolaire Julie ou La Nouvelle Héloïse rencontre un immense succès dès sa publication en 1761, et change considérablement le regard que les contemporains ont de « Jean-Jacques ».

2) 1762-1770 : Rousseau est condamné à l’errance et à la fuite en raison du scandale suscité par ses deux traités Émile ou de l’Éducation et le Contrat social, condamnés par le Parlement de Paris et brûlés à Genève ; l’Émile est mis à l’Index par l’Église en raison de la « Profession de foi du vicaire savoyard » qui constitue une double condamnation du matérialisme et de l’athéisme, mais apparaît aux autorités comme un mysticisme suspect. Ayant assumé la paternité de ses œuvres en les publiant sous son propre nom, Rousseau est menacé d’arrestation. Errant alors entre la Suisse, l’Angleterre (où il se querelle publiquement dans la presse avec son hôte, le philosophe David Hume) et la France où des aristocrates l’accueillent, il vit dans la hantise d’un complot dirigé contre lui et entreprend son apologie personnelle, afin de montrer l’accord de sa philosophie et de sa personnalité. La démarche autobiographique, qui voit le jour dès 1762 dans les Lettres à Malesherbes, devient une nécessité pour légitimer sa quête de vérité.

3) Entre 1770 et 1778, il a trouvé refuge à Paris où il lit ses Confessions dans des salons (jusqu’à ce que cela soit interdit par la police), compose les Dialogues (Rousseau juge de Jean-Jacques) puis, à partir de 1776, les Rêveries du promeneur solitaire, œuvre ultime où le moi se rassemble et se réconcilie avec le monde grâce à la contemplation de la nature. Il meurt à Ermenonville le 2 juillet 1778. Après sa mort, nombreux sont les visiteurs comme la reine Marie-Antoinette qui se rendent en pèlerinage auprès de sa tombe sur l’île des Peupliers, dans le parc d’Ermenonville.

 

L’homme Rousseau, à la fois auteur et personnage, s’est attiré des admirateurs aussi zélés que des ennemis et des rejets profonds. Il est une « célébrité » du 18e siècle avide de reconnaissance sociale et morale, qui éprouve une contradiction intime à vivre dans le monde tel qu’il est – par opposition au « pays des chimères » et des « êtres selon son cœur ». Aussi son œuvre exprime-t-elle une tension fondamentale que Jean Starobinski a magistralement analysée entre transparence et obstacle, tandis que Bronislaw Baczko la situe dans la dialectique de la solitude et de la communauté. Autrement dit, le conflit intérieur qu’éprouve Rousseau tient à la relation du moi à autrui, du sujet à la société, ce pôle extérieur qu’il perçoit comme une menace d’aliénation : « pour Rousseau la solitude, la marge, l’écart sont le prix à payer pour accéder à la vertu, à l’authenticité », résume Jean-Marie Goulemot.

Son œuvre est donc toute entière marquée par la dualité. Cet homme de la tension irrésolue, de l’équilibre instable, comparé au philosophe cynique Diogène (retiré dans un tonneau et fuyant les hommes qu’il prétend chercher avec sa lanterne), parle à ses contemporains à partir d’une obscure clarté intérieure, à l’opposé des fastes clinquants des Lumières et de leur culte du progrès. Rousseau est l’anti-Voltaire. L’inimitié des deux encyclopédistes est justement célèbre : les piques de Rousseau contre le « célèbre Arouet », incarnation du luxe factice et efféminé dès le premier Discours, entraînent les railleries acerbes de Voltaire à la lecture du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes cinq ans plus tard ; en 1765, Voltaire publie son pamphlet Le Sentiment des citoyens où il révèle que le « citoyen de Genève » qui a endossé le costume de précepteur-modèle dans Émile, a abandonné ses cinq enfants ; il prolongera ses attaques dans l’article « Homme » du Dictionnaire philosophique (1770). Leur opposition nourrit en outre de nombreuses lettres hostiles chez les deux hommes et le délire de persécution de Jean-Jacques. Plus profondément, malgré le déisme qu’ils partagent, leurs visions du monde divergent. C’est donc par une ironie de l’histoire que ces deux Philosophes seront rassemblés par la Révolution comme deux précurseurs, dans un face-à-face posthume éternisé au Panthéon, temple civique dédié par la patrie reconnaissante à ses grands hommes. L’on connaît également le clin d’œil que leur adressera Victor Hugo dans la chanson de Gavroche, mourant le 6 juin 1832 sur les barricades dans Les Misérables :

 

Je suis tombé par terre,

C’est la faute à Voltaire,

Le nez dans le ruisseau

C’est la faute à Rousseau.

 

         Cette brève présentation synthétique de l’œuvre et de la pensée de Rousseau cherchera à souligner ce qui en fait la force et en assure la pérennité et l’universalité, depuis sa germination au milieu du dix-huitième siècle.

 

 

Unité et dualisme : à la recherche du bonheur perdu

 

Si les genres et les formes littéraires exploités par Rousseau entre 1750 et 1778 sont divers, on peut voir que deux veines dominent : d’une part la littérature d’idée (traités, essais, dictionnaires), d’autre part le genre biographique – Rousseau étant perçu avec Les Confessions comme le fondateur de l’autobiographie, et, plus largement, d’un nouvel imaginaire de l’écriture et de l’écrivain. L’auteur a donc été étudié conjointement par les philosophes et les littéraires, dans des approches parfois exclusives. Malgré cette apparente différence de forme ou d’intention, toute l’œuvre est cohérente, précisément grâce aux paradoxes et aux oppositions qui la constituent.

L’unité de l’œuvre tient, d’abord, au souci constant de sincérité et de vérité. Rousseau adopte en 1758 la devise « Vitam impendere vero », et il écrira dans le célèbre préambule des Confessions : « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme ce sera moi. » Cette passion de la vérité, malgré quelques mensonges qu’il reconnaît avoir commis et qui l’affligent, se retrouve en particulier dans la méditation de la Quatrième Promenade des Rêveries. La vérité est liée, pour Rousseau, à la transparence, donc au dévoilement difficile de soi à autrui. Or en-deçà de cette constante finalité morale, Rousseau est un être divisé qui ne cache pas son étonnement face à ses propres contradictions. Celles-ci sont exhibées dans l’autoportrait qu’il livre de son tempérament, par exemple dans ces lignes célèbres du 3e livre des Confessions :

 

Deux choses presque inalliables s’unissent en moi sans que j’en puisse concevoir la manière : un tempérament très ardent, des passions vives, impétueuses, et des idées lentes, embarrassées, et qui ne se présentent jamais qu’après-coup. On dirait que mon cœur et mon esprit n’appartiennent pas au même individu. 

 

         L’auteur donne ici l’impression d’une mystérieuse dissociation physiologique et mentale, qui expliquerait sa singularité et son embarras en société. En fait, cet autoportrait porte aussi la marque de ce que l’on a appelé le « platonisme » de Rousseau, dans la mesure où il dissocie – comme le philosophe grec – les qualités de l’âme et du corps. La célèbre « Profession de foi du vicaire savoyard », au cœur de son traité d’éducation, l’exprime en généralisant le propos à un niveau anthropologique universel :

 

Non, l’homme n’est point un : je veux et je ne veux pas, je me sens à la fois esclave et libre ; je vois le bien, je l’aime, et je fais le mal ; je suis actif quand j’écoute la raison, passif quand mes passions m’entraînent ; et mon pire tourment quand je succombe est de sentir que j’ai pu résister.

 

            Ainsi, du point de vue individuel et moral, l’homme dont Rousseau fait le tableau, à partir de son propre cas, est noué de contradictions.

Or – et c’est là tout le paradoxe du génie de Rousseau –, l’unité de l’œuvre est justement due aux contradictions qui la structurent en un système global, cohérent, qui prend à rebours la doxa des Lumières (celle qu’incarne Voltaire, auteur mondain et engagé au service de causes sociales ou politico-médiatiques comme l’affaire Calas). Dès le premier Discours apparaît l’idée selon laquelle le progrès de la civilisation est un leurre, parce qu’il a fait naître l’inégalité, le luxe, l’indécence, pente que confirme le Discours sur l’origine de l’inégalité. Le développement de la société est décrit comme dégénération, entraînant la « décrépitude de l’espèce ». Ce discours en deux parties repose sur un réseau de pôles opposés :

 

 

NATURE (état originel)

CULTURE (état civil)

Bonté (optimisme anthropologique)

Pitié (fondement du sentiment moral)

Liberté individuelle

« Amour de soi »

Sauvage

Aliénation et déprédation (pessimisme historique)

Guerre

Esclavage ou asservissement, anarchie

« Amour-propre »

« Homme de l’homme »

 

         Succession de dégradation qui poursuit la fiction mythique du « bon sauvage », dès l’instauration des premières sociétés, l’histoire de l’humanité est chaotique et violente. Le mouvement du texte, dans cette longue période qui forme un seul paragraphe, épouse l’idée de la Chute biblique adaptée dans une version historicisée, mais flottant entre mythe et histoire, suivant un partage que le texte met nettement en relief :

 

Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre ; dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.

 

         Est-ce à dire que l’homme soit voué à commettre le mal et vivre malheureux ? Rousseau ne s’y résout pas, pour plusieurs raisons :

 

1°. D’abord, il ne propose jamais de retourner marcher à quatre pattes dans les forêts, comme le caricature Voltaire : convaincu que le devenir historique est irréversible, il adhère à l’idée de « perfectibilité » (ce qui en fait l’inverse d’un « primitiviste »), mais déplore les effets de l’aliénation de l’homme dans et par la société. La question sera alors de savoir si l’individu peut être libre et heureux, et à quelles conditions, au sein de la collectivité.

 

2°. Pour y répondre, Rousseau ne cesse de proposer des voies permettant de remplacer son innocence perdue par la vertu – entendue comme un état de lutte entre la raison et les passions – et de convertir cette vertu en sagesse. D’une certaine manière, c’est l’itinéraire de Saint-Preux et de Julie dans La Nouvelle Héloïse (1761), long roman épistolaire qui déploie sur treize années l’amour (Eros) des héros sublimé en amitié spirituelle (Agapè), tout en abordant des sujets de société comme le mariage, l’éducation, l’organisation sociale (dans l’utopie communautaire de Clarens, organisée autour de Julie et son mari M. de Wolmar), la religion et la mort. Mais Julie éprouve elle aussi des contradictions, et avoue avant de mourir que son bonheur vertueux « l’ennuie » : les attaches des sens demeurent. Si dans cette œuvre de renoncement à la passion charnelle, Rousseau s’est inspiré de son amour non réciproque envers Sophie d’Houdetot (qui aimait Saint-Lambert), la forme épistolaire permet d’effacer le récit, donc en apparence l’intervention de l’écrivain converti en auteur-chef d’orchestre moraliste, de sorte que « La Nouvelle Héloïse est le premier roman de notre littérature où le temps transforme intérieurement les personnages ». C’est ce faisceau de raisons, confortées par le sentimentalisme moral du ton et de la trajectoire des personnages qui culmine par la mort de l’héroïne, qui ont assuré l’identification des lecteurs (et des lectrices), au point de faire du roman le grand best-seller du XVIIIe siècle.

 

3°. En effet, Rousseau est obsédé par la recherche du bonheur. Il récupère la philosophie stoïcienne d’Epictète et de Sénèque avec son idéal d’ataraxie (absence de trouble), mais se heurte à la difficulté de concilier la nécessité d’acquiescement au destin et l’exigence de vie morale en société. Car le bonheur, pour Rousseau, est difficilement collectif. Il ne peut exister que dans la transparence égalitaire des corps et des cœurs, comme dans le modèle éphémère de la fête civique opposée à l’enfermement du théâtre que profile la Lettre à d’Alembert, ou dans le microcosme communautaire de Clarens dans La Nouvelle Héloïse, lors de la fête des vendanges qui réalise une fusion des conditions sociales :

 

Vous ne sauriez concevoir avec quel zèle, avec quelle gaieté tout cela se fait. On chante, on rit toute la journée, et le travail n'en va que mieux. Tout vit dans la plus grande familiarité ; tout le monde est égal, et personne ne s'oublie. […] Ces saturnales sont bien plus agréables et plus sages que celles des Romains. Le renversement qu'ils affectaient était trop vain pour instruire le maître ni l'esclave ; mais la douce égalité qui règne ici rétablit l'ordre de la nature, forme une instruction pour les uns, une consolation pour les autres et un lien d'amitié pour tous.

 

Mais ce bonheur collectif n’est que passager, de même que l’unanimisme démocratique du Contrat social est utopique (c’est un gouvernement fait pour « un peuple de Dieux »). Les conditions du bonheur individuel sont tout aussi précaires, car Rousseau reste prisonnier du regard extérieur, c’est-à-dire de ce que l’on commence à appeler « l’opinion publique ». L’écriture exprime alors cette obsession de l’autre et le désir de se faire reconnaître comme authentique et sincère, mais au prix de la séparation et de la différence toujours proclamées. La conséquence de cette division intérieure est elle-même paradoxale. Rousseau chérit l’écriture comme lieu où la parole peut enfin afficher sa vérité, mais il « [hait] les livres » (des autres), au motif qu’ « ils n’apprennent qu’à parler de ce qu’on ne sait pas. » (Il ne fait d’exception, dans l’Emile, que pour Robinson Crusoé de Defoe, mais condamne fortement par exemple les Fables de La Fontaine ainsi que les livres d’histoire comme des réservoirs de préceptes ou d’exemples pervers). Pis encore : dès le Discours sur l’inégalité, il « [osait] presque assurer que l’état de réflexion est un état contre nature, et que l’homme qui médite est un animal dépravé. » Pourtant, ne passe-t-il pas sa vie à méditer ? Les Rêveries en offriront la confirmation la plus éclatante, même s’il distingue entre la réflexion pénible et l’extase que procure la rêverie.

 

 

Réactionnaire ? révolutionnaire ? « moderne » ?

 

         L’œuvre philosophique, romanesque et auto-apologétique de Rousseau se rejoint par sa permanente visée morale, où les sentences abondent. Son pessimisme historique ainsi que certaines conceptions sociales telles que l’antiféminisme exprimé dans le livre V de l’Emile ont pu lui valoir le qualificatif rapide de réactionnaire ; inversement, Engels a fait une lecture pré-marxiste du Discours sur l’inégalité, dont le Contrat social constituerait le dénouement révolutionnaire. Or Rousseau se montre réticent quant à la valeur des « révolutions inévitables » produites par le cours de l’histoire. Il désigne d’abord par-là les grands sauts qualitatifs de l’humanité, comme la naissance de l’agriculture et des sociétés : « ce fut là le temps d’une première révolution qui forma l’établissement et la distinction des familles, et qui introduisit une forme de propriété ». Mais l’auteur idéalise le « juste milieu entre l’indolence de l’état primitif et la pétulante activité de notre amour propre », époque qui « dut être […] la plus heureuse, et la plus durable » car « cet état était le moins sujet aux révolutions, le meilleur à l’homme. » (p. 101). Plus loin, l’instabilité des révolutions est propice à l’essor du despotisme personnifié (p. 120). La notion est également mobilisée au livre III de l’Émile, dans un passage que l’on a parfois lu comme annonciateur de 1789 : « cet ordre [social] est sujet à des révolutions inévitables […]. Le grand devient petit, le riche devient pauvre, le monarque devient sujet : les coups du sort sont-ils  si rares que vous puissiez compter d’en être exempt ? Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. » Cependant, les termes sont mal posés : pour le dire autrement, l’œuvre de Rousseau n’est ni réactionnaire, ni révolutionnaire par ses conceptions politiques et morales. En revanche, sa démarche globale, elle, peut être qualifiée de « moderne », si l’on entend par là qu’elle rompt avec les habitudes et les normes préalables en proposant un nouveau contrat de lecture et un nouveau mode existentiel. D’abord parce qu’en osant mettre en scène sa vie dans les Confessions et ses autres ouvrages tardifs, l’auteur clame l’égale dignité et l’universalité de mérite d’un membre du tiers-état par rapport aux classes privilégiées (de la noblesse et du clergé) : un simple bourgeois peut donc devenir un « exemple », pourvu qu’il soit un honnête homme. Ensuite, parce que sa dernière œuvre, qui constitue le terme d’une existence, apparaît à plus d’un titre comme une « révolution », au double sens d’aboutissement d’un cycle et de renversement radical.

Synonyme de désordre et de nouveauté imprévisible dans le cours de l’histoire, donc plutôt dévalorisé comme symptôme d’anarchie, le terme de « révolution » est, à l’inverse, un concept existentiel valorisé par Rousseau quand il concerne son choix de se retirer du monde (celui de l’élite parisienne) – même s’il s’agit surtout d’une posture : Rousseau habite au cœur de Paris durant ces années-là – tel le sage stoïcien, au cours d’une longue et difficile épreuve que retracent Les Rêveries du promeneur solitaire. La conversion morale et spirituelle opérée par Jean-Jacques durant une vingtaine d’années est alors définie, à plusieurs reprises, comme une « étrange révolution ». Endossant la posture du juste persécuté, le moi retourne à lui-même, enfin dépouillé de tout ce qui lui est « étranger » (la pensée des autres, les pressions sociales réelles ou ressenties venant de ses ennemis) :

 

Tout ce qui m’est extérieur m’est étranger désormais. Je n’ai plus en ce monde ni prochain, ni semblables, ni frères. Je suis sur la terre comme dans une planète étrangère où je serais tombé de celle que j’habitais. […] Livrons-nous tout entier à la douceur de converser avec mon âme puisqu’elle est la seule que les hommes ne puissent m’ôter.

 

La solitude n’est donc pas un état, mais une conquête contre les autres, et l’œuvre qui retrace ce processus devient, selon le mot de Goldschmidt, « le récit d’une inassimilation […] à l’ordre du monde. » C’est alors que la Nature, personnifiée comme la « mère commune », se fait refuge et havre de paix : « je sens des extases, des ravissements inexprimables à me fondre pour ainsi dire dans le système des êtres, à m’identifier avec la nature entière. » Isolé dans le microcosme autarcique de l’île Saint-Pierre au milieu du lac de Bienne, Rousseau se compare à Dieu, grâce à la plénitude du « sentiment de l’existence ». Ainsi est traduit le renversement du rien au tout, de l’exil subi à la solitude choisie. Exclu du monde extérieur, Rousseau se fait le centre de l’univers. Mais pour acquérir cette transparence face à Dieu et à l’humanité, le moi a encore besoin de l’horizon social dépeint comme menaçant et hostile : « Dans les Rêveries, écrit J. Starobinski, nous trouvons tout ensemble la répétition monotone d’une conviction folle, et le chant mélodieux d’une voix qui défend l’âme contre sa destruction. » Sans doute la modernité de Rousseau tient-elle fondamentalement à ce chant-là.

 

 

Rousseau au miroir de notre temps

 

         Le rousseauisme est la postérité la plus visible de Jean-Jacques, et c’est peu dire que ses successeurs l’ont été à quelque degré. Suivre ici les fils qui composent la queue de la comète nous éloignerait trop de son centre. Il suffit de rappeler que des auteurs français et étrangers, littéraires comme philosophes, ont profondément été marqués par son empreinte : Bernardin de Saint-Pierre, l’un de ses derniers amis proches (rousseauistes, sa pastorale exotique Paul et Virginie (1788) et ses Harmonies de la Nature (1796)), Louis-Sébastien Mercier, qui publie en 1791 De Jean-Jacques Rousseau considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution, André Chénier (dont le rousseauisme innerve la poésie élégiaque et bucolique), ainsi que Rétif de la Bretonne obsédé par la quête d’une identité toujours instable et incertaine, ou encore Germaine de Staël et Chateaubriand, mais aussi Robespierre et la plupart des autres révolutionnaires, Goethe (dont Les Souffrances du jeune Werther en 1774 sont un hommage à La Nouvelle Héloïse), Kant… Le camp de ses ennemis est également fourni en beaux noms, dont la liste serait aussi longue et fastidieuse. On tâchera plutôt, pour conclure, de ressaisir les principaux traits de l’œuvre et de la pensée de Rousseau dans ce qu’ils ont d’actuels.

Rousseau nous invite à « opter entre faire un homme ou un citoyen » : Émile répond à la première partie de l’alternative, tandis que le Contrat social s’occupe de la seconde. Ces deux ouvrages qui se font écho sur le plan moral et politique postulent une réforme possible et souhaitable, même s’ils peignent un idéal peu accessible. Dans le premier cas, le paradoxe consiste à naturaliser l’homme de l’histoire – mais peut-on enseigner une simple morale négative consistant à fuir la société aliénante pour créer les bases d’une autre société ? La difficulté demeure. Dans le second, Rousseau se situe au niveau du droit, en dehors de l’histoire, en dénaturant l’homme pour imaginer un parfait citoyen. Le Contrat social est donc une utopie qui suppose l’aliénation volontaire de l’individu dans la « volonté générale », de sorte que les citoyens partagent une souveraineté en tant que gouvernants et gouvernés simultanément. Mais par ce traité dans lequel la raison se confond avec la religion naturelle, Rousseau confère à l’Homme toute la responsabilité de l’action. Sans le Rousseau politique et moraliste, la Révolution française et l’idéal républicain n’auraient pas été ce qu’ils sont devenus.

         L’entreprise analytique et biographique de Jean-Jacques est aussi novatrice. Il est évident qu’elle s’inscrit dans la lignée d’illustres prédécesseurs, en particulier de Montaigne, auteur des Essais, qui est le premier à avoir voulu peindre en plusieurs touches un individu à travers les changements d’une vie dans un souci de vérité. Mais Rousseau ajoute à sa démarche une intention systématique et une nouvelle conscience du tragique de l’existence, qui tient pour lui à la menace de l’aliénation dans un régime médiatique moderne que nous connaissons bien, puisqu’il est encore le nôtre : « le cauchemar que décrit Rousseau est celui où tout individu, perdant tout contrôle sur l’image que les autres se font de lui, devient le spectateur impuissante du spectacle qu’il est devenu. » Son attitude paradoxale de fuite hors de la société, dans la nature et par l’écriture, a pu être perçue – par Georges Steiner notamment – comme un « ‘pastoralisme’ nihiliste » précurseur du « malaise dans la civilisation » de Freud. Ni révolutionnaire, ni réformateur, Rousseau serait l’archétype du « sujet révolté », dont l’être serait engagé dans une « expérience vitale » conduisant au « désaveu de l’humanité ». Mais l’on pourrait insister tout aussi bien sur la puissance d’affirmation de l’individu et de son idéal de liberté, toujours à conquérir : « L’œuvre et la vie de Rousseau sont commandées par une lutte constante contre toute forme de la contrainte et du despotisme, par une quête exemplaire de la liberté à travers l’acte de la pensée et de l’écriture. » Si l’on en croit Marc Eigeldinger, (re)lire Rousseau permettrait de puiser l’énergie d’un sursaut pour mieux faire face au désenchantement de notre temps.

 

 

Thibaut Julian

École des Hautes Études en Sciences Sociales

& Sorbonne Université

 

-雅克·卢梭一个孤独梦想家的共同遗产

 

卢梭这个名字在启蒙时代享有盛誉,也同样在这个时代黯然失色。他是一位充满个性,喜欢剑走偏锋的作者,他拥有象征着他那个时代的精神思想,但他的精神与其所在的时代仍然有着差距,甚至是一种超越因为有了他,一向热衷于分类的文学史才会习惯性地在法国诞生浪漫主义

因为卢梭将自己的生活作为《忏悔录》的素材,所以他的生活更为人们所了解《忏悔录》写17651770间,该书是作为对其指控的一种辩护,他希望可以借此恢复他的名誉,随后该书在他去世之17821789年间得以出版。让·雅克1718出生在日内瓦的一个信仰新教的普通手工艺者的家庭中,他出生几天后他的妈妈就去世了,喜欢阅读小说普鲁塔克的《名人传》。他曾经当过记录员和雕刻师学徒,经过多年不幸学徒生活后,他1728逃离日内瓦,开始了流浪生活,他萨瓦遇到了瓦夫人,后来瓦朗夫人成为了他的资助人和情人一直到1742。在他这辈子最美好的这些年中,开始爱情和文化的自我修炼。1742年,他出发前往巴黎寻找机会,他介绍了一种后来并不受赞扬的音乐评注体系,狄德罗和孔迪亚克结下了友谊,随后在回到威尼斯之后,与一位简朴的洗衣女工泰蕾兹·勒瓦瑟这里定居了下来;后来他也参与了《百科全书》编撰工作,其中关于音乐的文章由他编写而成。1750他因为第戎学院授奖的《论科学与艺术》这一充斥着矛盾的论文一举成名,也正是这篇论文中他提出了他的哲学体系基本原理。随后,卢梭的生活和工作可以分成三个连续的阶段 

4) 1750-1762:尽管他在宫廷上演的歌剧《乡村中的占卜师》获得了成功,而且随后1752创作了剧本《纳西瑟斯》,卢梭仍然渴望可以退休开始进行他所谓的个人退役是一个不守陈规的人,曾经拒绝了国王的召见,选择从世俗中抽身而退,更向往成为一个拿着微薄收入的乐谱抄写人。他积累了很多关于反对法国音乐反对以揭露社会和道德丑恶为目的的戏剧(《关于戏剧致达朗贝尔的信》,1758)的论战,并逐渐和他的哲学家朋友们变得不再和睦,其中有狄德罗,格林霍尔巴赫。1761年书信体小说《朱莉新爱洛伊斯》一经出版就获得了巨大的成功,这本小说也大大改变同时代人对于-雅克的看法。

5) 1762-1770因为《爱弥尔或论教育》和《社会契约论》这两部论著,卢梭被迫流浪逃亡,这两部论著不但受到了巴黎议会的谴责,还在日内瓦被烧毁;《爱弥尔》被列为了教会的禁书理由萨瓦副本堂神甫的基本信条谴责物质主义批判无神论,但是对于权利当局来说《爱弥尔》更像是一种可疑的神秘主义。由于他是用本名出版了这两本论著,这也做实了他的作者身份,卢梭因此面临着被逮捕的威胁。于是他瑞士、英国(在这里公然在报纸上和他的房——哲学家大卫·休谟——互相争吵)和法国之间漂泊不定,尽管法国的贵族们都很欢迎他,但是仍然反对他的阴谋纠缠不休于是他开始自我辩护,彰显出他的人生观和人格的和谐。从1762年起,他在《致马勒塞布的信》中开始使用自传的方法,这种自传的方法也变成了对自己寻求真理的必要辩护

6) 1770-1778他在巴黎寻到避难所,那里他在沙龙里朗诵自己的《忏悔录》(直到被警方禁止为止),还写成了《对话录(卢梭审判让·雅克)》,随后1776,《一个孤独漫步者的遐想》问世,这是他最后的作品,书中的我通过对自然的沉思恢复冷静,并世界言归于好177872埃尔芒翁维尔去世。他被安葬在了埃尔芒翁维尔公园波普里耶岛上,即便他去世后,的墓地前仍然迎来了很多访客,诸如玛丽·安托瓦内特皇后就会去他的墓地朝圣。

 

无论是身为作家还是名人,卢梭招来的崇拜者和他的敌人、反对派们一样虔诚。作为一个18世纪知名人士渴望社会和道德的认可,这表现出他因为生活在这样一个世界—— 一个幻想的国度遵从内心的人类恰恰相反的世界——导致的内心的矛盾。因此他的作品表达了一种基本的压力,这种压力也是让·斯塔罗宾斯基巧妙分析过的透明障碍之间的压力博洛尼斯瓦·巴茨柯则将这种压力放在孤独和群体的论证中。换言之,卢梭表现出的内心冲突其实就是自我和他人之间,主体和社会之间的关系,他将这个外界的极端构想成一种异化的威胁:对于卢梭而言,孤独边缘、差异是为了接近美德、真实所需要付出的代价,让-玛丽·古勒莫如是总结

 

因此,他的作品完全以二元性为标志。相比于犬儒学派的哲学家第欧根尼(他隐居在一个木桶里,并灯笼声称在寻找人们,实则却是在逃避人们这个男人有着犹豫不决的紧张,不稳定的平衡,当他与同时代的人交谈的时候是从一种模糊内心逐渐明晰开始的这与启蒙哲学家们华而不实的排场,以及他们对于进步的崇拜迷信有所不同。卢梭是反伏尔泰的。两个百科全书作者之间的敌意恰好众所周知卢梭对著名的阿鲁埃冷嘲热讽,认为他是假冒奢侈品的化身,第一次的《论科学与艺术》中卢梭就抨击他缺乏阳刚之气,这导致伏尔泰在五年后阅读了《论人类不平等的起源与基础》之后亦发出尖刻的嘲笑1765伏尔泰发表了《公民的情感》,其中他抨击揭露了这位日内瓦公民在《爱弥尔》中披上了模范家庭教师的外衣,在现实中抛弃了自己的五个孩子;随后在《哲学辞典》(1770)的《人类》一文中继续他的攻击。此外,他们的这种敌对关系也滋生出数不清的、充满敌意的来往信件,导致了让-雅克的迫害妄想症。更深地来看,尽管他们二人都是自然神论者,他们的世界观却截然不同。由于他们对于历史的讽刺,这两位哲学家均被认为是法国大革命的先驱,以至于最后两人在死后还得在先贤祠中面对面地永垂不朽下去,先贤祠是国家为了表示感谢安葬伟人们的公民圣殿。我们也知道维克多·雨果加夫罗契之歌中对这两位伟人的匆匆一瞥,加夫罗契183266死在了《悲惨世界》中的内战中:

我摔倒在地上,

这都是伏尔泰的错,

我的鼻子浸湿在阴沟里,

这都是卢梭的错。

 

我们之所以简要、综合地介绍卢梭的思想和作品,为了强调从18世纪中叶萌芽开始,他作品和思想就变成了一种力量,这也确保了他的作品和思想的永恒性和普适性

 

统一性和二元论寻找失落的幸福

 

尽管1750年至1778年卢梭发掘的体裁和文学形式多种多样,我们仍然可以发现占主导地位的两脉:一方面是思想类文学(专论,散文,词典),另一方面是自传体裁——卢梭因为《忏悔录》被视为自传体的创始人,更广泛地说,他还是开创作家、写作新想象的奠基人因此,这位作者在一些独有的研究方式中不仅是哲学家们的研究对象同时也是文学研究者的研究对象。尽管这个作品的形式或意图存在着明显的差异,但是由于构成作品的悖论和对立使得整个作品仍是连贯的

作品的统一性首先是对真诚和真理的持续关注。卢梭在1758年采用了“为真理献身 ”的座右铭,并在《忏悔录》著名的开场白中写道:“我想向我的人类同胞们揭露一个人的本质,而这个人就是我。尽管他已经承认其中有一些谎言,而这些谎言也折磨着他,但是我们仍然可以在遐想》中找到这种对真理的热情,尤其是第四次遐想的漫步对于卢梭而言真理与透明相关因此真理就是将自我艰难地揭示给他人看然而这还不是亘古不变的道德目的卢梭是一个分裂的存在当他在面对自己的矛盾时他不会掩藏自己的惊讶这些自我矛盾都展现在赋予自己气质的自画像中,例如体现在《忏悔录》第三卷中这些著名的字里行间里:

 

两种几乎不相容的东西在我身上合二为一,我甚至想不到它们是怎么合二为一的:十分热情的性格,强烈急躁的激情,缓慢窘迫且只有事后才表现出来的思想。似乎我的内心和我的思想不属于同一个个体。

 

作者在这里给出了一种身体和思想神秘分裂的印象,这有可能可以解释他的特立独行以及他在社交上局促不安。事实上,这个自画像还带着卢梭的柏拉图主义的特点,因为他将灵魂和躯体的品质相分离,就像那位希腊哲学家一样。他的教育论文核心中,著名的萨瓦副本堂神甫的基本信条通过将他的话语表达推广到通用人类学层面来表达这种肉与灵的分离:

 

不再是一个体:我想要我也不想要我既感到被奴役也感受到自由;看到善良,爱善良,但是我也作恶 ;当我听到理智时我就积极向上,当我的激情引领着我时我就消极懈怠;当我屈服时,让我最痛苦折磨是感觉还能坚持

 

    因此个人和道德的角度来看,卢梭作画的这个人是从他自己的样子开始描摹的,所以这个被画的人充满了矛盾。

然而——这就是天才卢梭的一切自我矛盾——,作品的统一性正因为矛盾不仅构成了一个全面的连贯的体系,而且与启蒙时代知识、感知和观点相违背(这正是伏尔泰所体现的,伏尔泰是一个上流社会的作家,同时投身于社会或者政治媒体的诉讼案件中,例如卡拉斯事件)。第一部《论科学与艺术》开始,的文章中就体现出文明的进步一种圈套的思想,因为这种进步滋生出了不平等、奢侈、下流,《论人类不平等的起源》倾向于承认了这一点。社会的发展被描述一种堕落,导致了物种的衰败 ”这个作品由两个部分构成,并且建立在拥有两个相反的极端的网络上:

 

本性(原始状态)

文化民状态)

善良(人类学乐观主义)

怜悯(道德情感的基础)

个人自由

 自恋

野蛮

异化和毁坏(历史的悲观主义)

战争

束缚或屈服,混乱

 自尊

 人中之人

 

    在高贵野蛮人的神话想象之后,我们所面临的是接连不断的降级,从原始社会的建立开始,人类历史充斥混乱和暴力。在这段漫长却只能写成一个段落的时期里,文本的运动支持着圣经降级的想法,将圣经改编成一个历史的版本,但是同时还是让圣经介神话和历史之间,接下来我们看看这个文本清楚强调的内容:

 

只要人们可以满足他们自己的乡村小屋,只要他们满足于用棘刺或者鱼骨将他们的皮衣缝制起来,满足于用羽毛和贝壳打扮自己,满足于用各种缤纷多彩的颜色描绘身体,满足于改良或者装饰他们的弓箭,满足于用锋利的石头切削出一些捕鱼人的小船或者一些粗糙的乐器,总之只要他们只专心于只要一个就能完成的工作,只专心于不需要很多人写作的技艺,他们就可以活得很自由,健康善良和幸福,因为他们可以按着本性活成自己的样子,可以继续享受孑然一身所带来的快乐:但是当一个人想要寻求另一个人帮助的那一刻开始;一个人意识到即使孤身一人也可以拥有两个人的食物的时候,平等就消失了,所有制被人们所接纳,工作变成了必须,广袤的森林变成需要人们浇灌汗水的舒适的乡村,在这些乡野间我们很快会看到,伴随着收获的季节奴役和苦难在滋生和生长

 

    那是否就意味着人类注定要犯罪并且生活地不幸?由于一些原因卢梭并没有解决这个问题:

 

1°. 首先从来不会建议人们回归森林爬着行走,就好像伏尔泰的漫画那样相信历史的发展是不可逆的,所以他赞同可完善性的想法(因此可完善性变成了原始主义的反面),但是他也会惋惜人类在社会中或者被社会影响所导致的异化作用。因此问题将会变成了解个体是否会自由和幸福,并且在什么样的条件下个体在集体中才能变得自由和幸福。

 

2°. 为了回答这个问题,卢梭不断地提出新的方法希望可以借此将美德代替丧失的天真——听上去就像是理智与激情之间的博弈状态——同时将这种美德转化成睿智。从某种意义上来说,这是《新爱洛伊斯》(1761)中圣·皮瑞和朱莉经历的过程,这是一步长篇书信体小说,讲述了主人公们13间从爱情(情欲之爱)升华成精神友谊(神圣的爱),小说中涉及到了很多社会主题例如婚姻,教育社会组织(在朱莉和她的丈夫德沃玛先生建立起来的克拉伦斯集体式的理想国中的组织),宗教和死亡。但是朱莉本人也表现出了自我矛盾,她死之前承认她高尚的幸福让她感到厌烦:感官联系仍然存在尽管在这部抛弃了肉欲激情的作品中,卢梭是受到了他对苏菲··乌德朵(爱着圣-朗贝尔单方面启发书信体可以抹去叙述的痕迹,因此表面上作者的介入就变成了作者道德乐队的指挥,以至于《新爱洛伊斯》变成我们文学史上第一部靠时间改变人物内心的小说。小说中人物人生轨迹和语气所表现出的他们思想上的多愁善感不断增强他们的情理女主人公的去世更使得这种多愁善感达到了顶峰,正是因为这些情理才保证(男女)读者们的认同感,才能使得这本小说成为18世纪最畅销的伟大作品。

 

3°. 事实上,寻找幸福的念头始终纠缠着卢梭。他用他的不动心(没有任何的心烦意乱)的标准重塑了爱比克泰德和塞内卡的斯多葛派哲学思想,但是他也遭遇了困难,发现很难接受命运的必要性和处世精神生活的要求相协调起来。因为幸福对于卢梭而言是很难集体化的。幸福只存在在身体和心灵平等主义的透明性中,只存在昙花一现的范例中,比如《致阿朗贝尔的信》中所描述的反对关闭剧院的公民狂欢,或者只存在在《新爱洛伊斯》中,人们在收获葡萄的庆祝中实现了社会环境的融合,幸福就在克拉这个集体式的微观世界中:

 

大概无法想象这一切是用什么样的热情什么样的快乐才得以完成。我们唱歌,我们欢笑一整天,这只会让工作变得更加美好。所有人都生活得亲密无间所有人都是平等的,没有人被遗忘。[…] 纵情的狂欢与古罗马人的狂欢相比更为惬意,更为明智古罗马人假装的地位颠覆太过虚妄以至于既无法教育主人也无法教育奴隶;但是支配这里的平等的甜蜜恢复了自然的秩序,形成了对于些人的一种教育,对于另一些人的一种慰藉,以及对于所有人的一种友谊的联系

 

但是这种集体式的幸福只是短暂的,同样《社会契约》的民主的一致也是乌托邦式的幻想(这是天选之民才能有的管理方式)。个体幸福的条件也不确定的,因为卢梭在外界的眼中始终是个囚徒,也就是说卢梭始终是公众舆论的囚徒。因此写作表达这种他人对他自身的纠缠困扰,以及希望自己在他人眼中是真实真诚的欲望,但是这种表达是以他一直以来表露出来的疏离和与众不同为代价的。这种内心的分裂所导致的结果就是自相矛盾。卢梭之所以珍惜写作是因为他可以通过语言告诉大家他所认为的真相,但是[讨厌](别人的)书,因为他们只习惯谈论大家不知道的东西(在《爱弥尔》中,笛福的《鲁滨逊漂流记》是个例外,但是他仍然严厉批判那些例如拉封丹的《寓言》和那些教训为目的或者是错误典型的历史书籍)。更糟糕的是:《论不平等》开始,“‘竟敢肯定思考的状态是一种反天性的状态,能够思考的人类是一种堕落的动物但是难道他的生命中从来没有思考过吗?后来的《遐想》一书给出了最明显的肯定,即使他认为痛苦的思考和幻想引起的出神并不一样

 

 

反动派?革命派?《现代》?

 

    卢梭的哲学作品,小说和自我辩护作品往往因为他永恒的道德目的而相契合,因此这些作品中有很多的警句格言。他的历史悲观主义和某些社会观点例如在《爱弥尔》第五卷中表达的女权主义可以很快将他形容成一个反动派 ;相反,恩格斯对《论不平等》一文进行了前马克思主义式的解读,其中《社会契约》有可能会导致革命的结局。但是当谈到历史发展进程中不可避免的革命的价值时,卢梭表现出了犹豫不决。首先他指出了人类经历的那些巨大的突变,例如农业和社会的产生就是在第一次革命的时代产生了家庭,并且这些家庭开始有所差别,也正是在这个师弟啊引入了所有制形式 ”。但是作者将介于原始状态的懒惰和我们出于自尊作出的积极活动两者中间的时期理想化,这个时期应该是[…] 最幸福的,也是最长久的因为这种状态最不容易引发革命,对人类来说时最好的状态。p.101)。其后革命的变化无常对于人格化的专制有利的(p.120)。这个观念也《爱弥尔》的第三卷中得到了发挥,我们有时会解读1789革命预兆的一个段落中:“”这样的(社会)秩序很容易导致不可避免的革命[…]伟人变成普通人,富人变成穷人,君主变成臣民:命运的打击如此稀少以至于你们可以筹划着免于命运的打击?我们即将到达危机状态和革命的世纪但是,他措辞并不准确:换句话说由于卢梭的政治和道德观念,的作品既非反动派也非革命派。相反地,如果他的整体写作方式脱离了预设的习惯和规则并提出新的阅读契约新的存在方式,那么他的写作方式可以被形容成是现代派的。首先因为他敢于在《忏悔录》和他其他后来的作品中将自己的生活跃然纸上,作者大声嚷嚷着尊严的平等,以及相对于享有特权的阶级(贵族和教士)而言一个第三等级的成员取得的功绩也应该享有平等权利:因此一个普通的资产阶级也可以成为一个典范 只要他是一个诚实正直的人。此外,因为他的最后一部讲述存在一词的作品更多体现出了一种革命具有双重意义:一个循环的末尾和彻底的颠覆。

革命一词在历史的进程中是混乱和不可预知的创新的同义词,因此它更多地被贬低为无秩序症状相反革命一词卢梭这里却被褒扬为一种存在主义的观念,当他谈到选择从尘世中抽身而退时(巴黎精英所在的尘世)——即使这更多的一种姿态:卢梭在这些年间一直居住在巴黎的核心地带——例如《一个孤独漫步者的遐想》所勾勒的那个长期经历艰难的不幸的斯多葛派智者。让-雅克在二十多年间进行的道德和精神的转换被好几次定义成一种奇怪的革命 ”。当承担了被迫害人的姿态时,自我转向他人,最后去除了一切对他来说外来的东西(他人的想法,真是社会的压迫或者从的敌人那里感受到的压迫):

 

所有一切对我来说外来的东西从今以后都与我无关在这个世界上再没有同类,没有同胞,没有兄弟。我站在这片土地上就好像在一个陌生的星球,我有可能是从我居住的星球掉落到了这个陌生的星球。[…] 让我们全身心投入到与我的灵魂对话的甜蜜中,因为我的灵魂人们无法从我身上剥夺走的唯一的东西

 

因此孤独不是一种状态,而是一种反对他人的追寻,勾勒出这个过程的作品,高施密特的话说,变成了与世界秩序不可同化[…]的叙述于是大自然被人格化共同的母亲变成了庇护所以及和平的避风港:我感到恍惚,和难以言明的狂喜这让我与人类的体系融为一体,让我整个自然同化在比尔湖中的圣-皮埃尔岛上的自给自足的微观世界中离群索居卢梭自比为上帝,这多亏他的存在感得到了满足。因此表现出了从一无所有到拥有一切的颠覆,以及从被迫流浪到自己选择的孤独的翻转卢梭被驱逐出外面的世界,自己成为了宇宙的核心。但是为了获得这种面对上帝和人类时的透明,自我还需要用威胁和仇恨描绘出的社会的范围:在《遐想》中,J.斯塔罗宾斯基这样写道,我们发现一种疯狂的信仰的单调的重复,一种捍卫灵魂防止它被摧毁的声音的吟唱卢梭的现代性有可能从根本始终坚持着这样的吟唱。

 

 

在我们时代之镜中的卢梭

 

    卢梭主义是-卢梭最明显的后代,我们很少会说他的继承者们在某种程度上来说已经是卢梭主义。在这里我们追随着彗星的尾巴勾勒出来的痕迹只有可能让我们太过原理他的核心只要想起一些法国和外国作家,无论是文学作者还是哲学作者,深深地受到他的影响:贝尔纳尔丁··-皮埃尔最后的几个密友中的其中之一(卢梭主义者,他的异国牧歌《保罗和维尔吉尼》(1788)和他的《自然的和谐》(1796)),路易-萨巴斯蒂安·梅西埃,1791年出版了《论被认为是法国大革命的最早的作者之一的让-雅克·卢梭》,安德烈·谢尼埃(他的卢梭主义使得哀歌式的和牧歌式的诗歌受神经支配),还有雷蒂夫··拉布勒托纳着迷于寻找一种始终不稳定不确定的同一性或者还有杰曼··斯戴尔和夏多布里昂,当然还有罗伯斯皮尔和大部分其他的革命者,歌德(他在1774年出版的《少年维特的烦恼》是对《新爱洛伊斯》的一种致敬,康德……他的敌对阵营同样有很多有名的名字,如果列出一份名单来应该也会是又长又枯燥乏味总之我们更多地是尝试在卢梭的作品和思想现在体现出来的内容中重新抓住它们的主要特点。

 

卢梭让我们在做一个人或者做一个公民之间选择:《爱弥尔》回答了这个抉择的第一部分,社会契约》负责回答第二部分。这两部作品在道德和政治方面交相呼应,它们要求一种可行且适合的改革,即使它们所描绘的是一种几乎难以达成的理想。在第一部分中,悖论在与使处于历史中的人顺应造化——但是我们可以教给人们一种简单的消极的道德吗?目的在于让人们可以躲避使人变成奴隶的社会,以此打下创造另一个社会的基础?困难始终存在。第二个部分中,卢梭立足于法律方面,不再多谈历史,通过改变人的本质以设想出一个完美的公民。因此《社会契约》是一种乌托邦式的幻想,假设出一个身处公共意志中的个体的自愿的异化,也就是说公民们赞同领导与被领导共存的君主王权。但是在论文中理智和自然的宗教混为一谈,卢梭通过这篇论文赋予人类行动的一切责任。如果没有作为政治家和道德家的卢梭,法国大革命和理想的共和主义者是不可能变成现在的样子的。

    让-雅克的分析式和自传尝试同样也是具有创造性的。显然这些著名先辈后辈们也继承了这种尝试尤其是蒙田,《随笔录》的作者,是第一个希望可以通过数次尝试描绘出一个个体在真相的忧虑中,的一生所经历的变化起伏。但是卢梭在他的写作方法中加入了其一贯刻板的意图,以及存在的悲剧的新意识他看来这是我们很了解的现代大众传媒体制下产生的异化的威胁, 因为这个体制仍然是我们的体制:卢梭所描述的噩梦是一切个体无法控制他人对他的印象,一切个体变成了节目中无能为力的观众他这种逃离到社会之外的矛盾的态度可以被认为——尤其是乔治·斯坦纳这样认为——一种虚无主义的畜牧经济’”这是弗洛伊德文明的不适的先驱。卢梭既不是革命者也不是革新者,有可能是反抗的主体 ”范型,反抗的主体中的人类有可能投身一种生命体验之中,这种生命体验导致了人类的否认 ”。但是我们仍然可以坚决要求个体的肯定的力量和他自由的理想,即使这些始终是我们追求获得的东西:卢梭的作品和生活总是被反对一切束缚和专制的永恒的斗争所批判,通过思想和写作的行为实现对自由的模范的追求所谴责如果我们依赖马克·埃德尔丁格的观点,(重)读卢梭的作品可以让我们挖掘出爆发的力量,这样可以让我们更好地面对我们时代的幻想的破灭。

 

 

蒂波·朱利安

社会科学高等教育学院

索邦大学